Dossier
Texte: Marisol Hofmann et Stéphanie de Roguin
Photo: Craig Ward

Les bactéries, nos meilleures ennemies

Le corps humain contient 2 kilos de bactéries. Si la plupart ont un effet bénéfique pour la santé, certaines d’entre elles provoquent de graves infections pouvant conduire au sepsis, ou mutent en «superbactéries» résistantes aux antibiotiques. Amies ou ennemies: comment traiter les bactéries?

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L’artiste britannique Craig Ward a sillonné les 22 lignes de métro de la ville de New York durant l’été 2015 pour récolter des échantillons de bactéries. Il en a tiré une série d’images qui montrent la complexité de l’écosystème d’une ville comptant des millions d’habitants.

Les bactéries ont contribué à façonner notre planète telle qu’on la connaît. On les retrouve à peu près partout: sur les poignées de porte, dans les grands fonds marins et naturellement sur notre corps. Presque aussi nombreuses que nos cellules, elles se comptent par milliards dans l’organisme humain, fonctionnant comme un organe à part entière. Si la plupart sont essentielles pour la santé, toutes les bactéries ne sont pas nos alliées. Certaines, dites pathogènes, causent en effet des maladies infectieuses, qui peuvent aller de la simple angine au choc septique mortel.

Pendant longtemps, les antibiotiques ont représenté un moyen efficace de lutte contre les bactéries pathogènes. Leur utilisation abusive a toutefois contribué au développement de «superbactéries» multirésistantes. En début d’année, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a tiré la sonnette d’alarme: ces superbactéries pourraient tuer jusqu’à 10 millions de personnes par an d’ici à 2050, soit autant que le cancer. Face à cette urgence, plusieurs solutions alternatives intéressent les scientifiques, dont la phagothérapie. Découverte il y a un siècle, avant d’être délaissée au profit des antibiotiques, cette méthode semble à nouveau prometteuse (voir l'article sur la phagothérapie).

Les bactéries: amies ou ennemies?

Dès la naissance, les bactéries colonisent notre corps, constituant ce que l’on appelle le microbiote. «La composition de la flore bactérienne change passablement au cours des trois premières années. Elle se stabilise ensuite jusqu’à ressembler au microbiote que l’on retrouve chez un adulte», commente Vladimir Lazarevic, du Laboratoire de recherche génomique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Plus tard, d’autres changements liés à l’affaiblissement du système immunitaire et aux modifications d’habitudes alimentaires se produisent chez les personnes âgées.

Chaque individu possède son propre microbiote, selon l’environnement dans lequel il vit et son alimentation. Les bactéries corporelles se logent principalement sur la peau ou dans les muqueuses, soit dans l’appareil digestif, respiratoire ou uro-génital. Ces hôtes du corps humain travaillent en symbiose avec l’organisme, dans lequel elles trouvent des nutriments et un environnement favorable à leur croissance et à leur survie. Selon Vladimir Lazarevic, le tissu intestinal et le système immunitaire ne se développent pas normalement en l’absence de cette flore bactérienne.

«Les bactéries ont des fonctions métaboliques. Par exemple, elles dégradent par fermentation des résidus alimentaires non digestibles (fibres), de manière à absorber les composants utiles à l’organisme. Elles peuvent également produire des substrats énergétiques comme les acides gras ou les vitamines K et B12», détaille le chercheur. Les bactéries permettent également de stimuler le système immunitaire et d’augmenter les résistances de l’organisme. Un micro-organisme pathogène – champignon ou bactérie – devra lutter contre la flore locale pour coloniser le milieu. Ces bactéries de la flore endogène sont, pour ainsi dire, nos alliées.

Mais il existe aussi des bactéries qualifiées de «pathogènes» pour l’être humain, soit des bactéries qui peuvent potentiellement développer une maladie.

«Sur les 13’000 espèces bactériennes scientifiquement reconnues, environ 150 ont été répertoriées comme pathogènes pour l’homme», relève Vladimir Lazarevic.

Les plus connues sont les staphylocoques, les streptocoques, Clostridium difficile, ou les entérobactéries comme les salmonelles ou Escherichia coli.

«Si ces bactéries réussissent à s’installer et à envahir le milieu, elles vont causer des désordres au sein de l’organisme, explique Thierry Calandra, chef du Service des maladies infectieuses au CHUV. La maladie infectieuse est la manifestation de cette rencontre entre un agent pathogène et l’organisme de l’hôte.» Toutefois, la présence d’une bactérie pathogène dans le corps n’implique pas forcément une réaction. «On trouve par exemple des staphylocoques dans le nasopharynx de certains hôtes sans qu’ils soient pour autant malades», note Vladimir Lazarevic

Le sepsis: une affection grave en augmentation

Les maladies infectieuses vont des petites infections bénignes localisées, comme la cystite ou l’angine, à des maux plus graves, voire mortels. Le degré d’infection le plus important est représenté par le sepsis. Il s’agit d’une réponse inflammatoire généralisée du malade à une infection sévère.

Selon l’OMS, le sepsis est une cause majeure de morbidité et de mortalité maternelles et néonatales dans les pays à faible revenu. Mais il touche aussi des millions de patients dans les hôpitaux des pays à revenu élevé, où l’on observe un accroissement rapide du nombre de cas, lié au vieillissement de la population et à l’augmentation du nombre de patients immunodéficients.

Les bactéries les plus connues provoquant les sepsis sont les streptocoques, les staphylocoques, les entérobactéries et les Pseudomonas. Un sepsis peut se développer à partir de n’importe quelle infection systémique sévère, et plusieurs schémas sont possibles. Le sepsis peut être dû à une réponse tardive de l’hôte à une infection que le système immunitaire n’a pas reconnu tout de suite. L’infection prend alors de telles proportions que l’organisme n’arrive plus à l’arrêter.

Dans un autre cas de figure, «l’hôte peut produire une réaction si violente en présence d’une infection qu’elle devient délétère pour l’organisme», détaille Thierry Calandra. Ces réactions inflammatoires excessives peuvent entraîner des défaillances d’organes et provoquer de graves séquelles: perte de membres, lésions pulmonaires ou rénales et troubles neurologiques ou de motricité.

Le choc septique constitue la manifestation la plus sévère d’un sepsis. Il est notamment caractérisé par une tension artérielle qui chute de manière importante et un arrêt de l’irrigation des organes par le sang. Selon l’expert, 10% des patients atteints de sepsis en meurent, un taux de décès qui monte à près de 40% en cas de choc septique.

Si les personnes immunodéficientes sont plus à même de développer un sepsis, Thierry Calandra avertit: «Le fait d’être jeune et en bonne santé ne protège pas des failles de notre système immunitaire. Si vous avez la malchance de croiser la bactérie qui est capable de passer au travers de votre bouclier, vous risquez de développer un sepsis.»

Le spécialiste prévient en outre qu’il n’est pas toujours aisé de détecter les premiers symptômes de ce mal, qui peuvent ressembler au début à un état grippal. «Il faut rapidement consulter son médecin ou un service d’urgence lors de la survenue de gros frissons ou d’une fièvre élevée qui s’accompagnent d’un malaise général et d’une altération de l’état de conscience, car ce sont des signes évocateurs d’un sepsis.»

Antibiotiques: des alliés précieux contre les bactéries

Les superbactéries: un phénomène qui inquiète la planète

De nos jours, le moyen le plus courant pour traiter les infections bactériennes demeure l’antibiotique. Généralisé après la Deuxième Guerre mondiale, il représente l’un des progrès thérapeutiques majeurs du XXe siècle. «Les antibiotiques possèdent un spectre d’action. Certains ont des “trous” dans leur spectre et ne se révèlent pas efficaces contre toutes les bactéries.

Une biopuce pour diagnostiquer le sepsis

Une équipe de l’Université de l’Illinois (USA) a mis au point une biopuce permettant, à partir d’une goutte de sang, de diagnostiquer un sepsis. Comme la maladie tarde souvent à être diagnostiquée, les chercheurs ont développé un dispositif permettant de compter les leucocytes et de mesurer la présence du marqueur CD64 à la surface des neutrophiles (un type de globule blanc). Ces deux éléments constituent en effet des signaux forts du sepsis. Le petit dispositif a été testé afin de vérifier sa fiabilité. Les résultats sont parus dans la revue «Nature Communications» cet été.

Les antibiotiques à large spectre sont, quant à eux, capables de tuer la croissance d’un grand nombre de bactéries appartenant à différentes classes», explique le chef du Service des maladies infectieuses du CHUV. Les antibiotiques ne font donc pas la différence entre les bactéries bénéfiques et les néfastes. C’est la raison pour laquelle la prise d’antibiotiques peut mener à des effets secondaires. «Ils peuvent, par exemple, déséquilibrer la flore digestive et causer des diarrhées», remarque Thierry Calandra.

Les antibiotiques ont permis de faire reculer considérablement la mortalité dans le monde entier. Sans eux, certaines opérations chirurgicales telles que les transplantations cardiaques ne seraient pas possibles. Mais leur succès s’accompagne aussi d’une augmentation des cas de résistance aux antibiotiques, observée depuis plusieurs années. Selon l’OMS, ce phénomène constitue même aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale. On estime ainsi à 700’000 le nombre de décès causés annuellement par des agents pathogènes résistants. En début d’année, une patiente est décédée aux États-Unis après avoir été infectée par une bactérie multi-résistante, et ce malgré la prise d’une vingtaine d’antibiotiques.

La bactérie peut devenir résistante à un antibiotique par mutation dans son génome ou par acquisition de gènes de résistance provenant d’une autre bactérie. «Certaines mutations augmentent l’expression des pompes à efflux, soit un mécanisme par lequel les cellules rejettent à l’extérieur des composés toxiques comme les antibiotiques, précise Vladimir Lazarevic. D’autres mutations empêchent l’entrée de l’antibiotique dans la cellule ou encore changent la structure de la cible de l’antibiotique.» La pression sélective exercée par l’antibiotique administré conduit à la survie et à la multiplication de la souche résistante.

Les phages: des alternatives aux antibiotiques testées cliniquement

Que faire alors lorsque les antibiotiques ne se révèlent plus suffisants? «Lorsque l’infection est localisée, il est possible de recourir à une opération chirurgicale, remarque Thierry Calandra. Dans le cas d’une tuberculose résistante à tous les antibiotiques, par exemple, il est possible d’ôter la partie du poumon infectée.»

Une autre alternative connue est la phagothérapie, qui consiste en l’utilisation de phages, des virus naturels qui n’infectent que les bactéries. «Le virus se fixe à la surface de la bactérie, y injecte son matériel génétique afin de se reproduire, explique Grégory Resch, directeur de projet au Département de microbiologie fondamentale de l’Université de Lausanne (UNIL). Puis, afin de pouvoir sortir, les nouveaux phages vont faire exploser la bactérie.»

Ce traitement a été découvert il y a exactement un siècle par le Français Félix d’Hérelle et a été largement utilisé dans le monde avant la découverte des antibiotiques. Il est toujours utilisé couramment dans les pays de l’ancienne Union soviétique, comme la Géorgie, la Russie ou la Pologne. Pour chaque espèce de bactérie, il faut préparer un cocktail de phages spécifique.

L’administration thérapeutique des bactériophages se fait le plus souvent localement sur des blessures infectées comme des plaies ou des brûlures. Ils peuvent également être administrés par inhalation, pour les formes pulmonaires, ou par instillation pour les infections des yeux. Ce type de traitement est en vente libre dans les pays susmentionnés. Dans les pays occidentaux, qui ont délaissé cette technique en faveur des antibiotiques, des essais cliniques sont en cours pour étudier leur validité. ⁄



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Chiffres

1’012

Le nombre de bactéries présentes sur notre peau

86%

En pour-cent, la probabilité de nous identifier grâce à notre microbiote intestinal, selon une étude de l’école de santé publique de Harvard

60’000

C’est le nombre estimé de bactéries existantes

Microbiote

Ce terme désigne l’ensemble des micro-organismes (levures, bactéries, virus), non visibles à l’œil nu, situés dans un environnement spécifique (peau, intestins, bouche, etc.).

Microbe

Il s’agit d’un organisme vivant invisible à l’œil nu. Le terme regroupe
différentes formes de vie dont les bactéries, les champignons ou les algues unicellulaires. Certains y incluent également le virus, qui n’est cependant pas considéré comme vivant par l’ensemble de la communauté scientifique.

Bactérie

Organisme vivant microscopique constitué d’une unique cellule et dépourvu de noyau. Les bactéries sont les premières formes de vie apparues sur Terre il y a près de 3,5 milliards d’années.

Virus

Cette particule microscopique infectieuse nécessite un hôte, en principe une cellule, pour se reproduire et survivre. Il peut ainsi être considéré comme parasite. Le débat sur la nature des virus, à savoir s’il est vivant ou non, reste ouvert.

Un grand nombre d’enfants contractent des sepsis à l’hôpital

Plusieurs millions d’enfants dans le monde entier meurent chaque année de sepsis. En Suisse, un enfant par jour en moyenne contracte une infection potentiellement mortelle. C’est ce que révèle une étude nationale menée pendant quatre ans par les dix plus grands hôpitaux pédiatriques de Suisse, dont le CHUV. Les résultats ont été publiés le 20 juillet 2017 dans la revue spécialisée «The Lancet Child & Adolescent Health». Une grande partie de ces infections sont contractées à l’hôpital: «Suite à l’étude menée par le Swiss Pediatric Sepsis group, nous avons constaté que sur 1’181 cas d’infections du sang relevées, 32% ont affecté des enfants précédemment sains, 34% des nouveau-nés et 34% des enfants avec comorbidités sous-jacentes», commente Sandra Asner, responsable de l’Unité d’infectiologie et de vaccinologie pédiatrique au CHUV.

La spécialiste a participé à l’enquête, pour la partie traitant des pneumocoques. «Le tiers des infections acquises à l’hôpital concernent principalement les enfants sous chimiothérapie dont le système immunitaire est atteint, ceux qui se trouvent aux soins intensifs ou encore les prématurés. Ces trois groupes sont particulièrement à risque d’un sepsis de par leurs séjours fréquents à l’hôpital et de par l'utilisation de cathéthers, qui sont des facteurs de risque pour contracter une infection."

Les différents types de bactéries

Les bactéries sont habituellement classées en fonction de deux caractéristiques: leur forme et l’épaisseur de leurs parois cellulaires.

Cocci

Un streptocoque

est constitué d’une chaîne de cocci

Un staphylocoque

est constitué d’un amas de cocci

Bacilli

Spirille

​La borrelia

provoquant la maladie de Lyme est transmise par la morsure d’une tique infectée

Vibrion

Les utilisations insolites des bactéries

​Crèmes auto-bronzantes

On trouve dans certaines crèmes auto-bronzantes un composé organique produit industriellement par fermentation bactérienne.

Art

Les créations de l’artiste britannique Anna Dumitriu sont toutes cousues avec des souches de microbes. Ces derniers sont stérilisés avant d’être incorporés dans le tissu. L’artiste a par exemple imprégné une couverture d’une souche de staphylocoques dorés.

Biogaz

Dans certains pays comme la Chine sont collectés des excréments animaux ou humains afin de fabriquer, grâce à la fermentation des bactéries, du biogaz domestique.

Paroi cellulaire épaisse ou mince?

Pour déterminer ce paramètre, les scientifiques utilisent des colorants. Les bactéries à paroi épaisse deviennent alors bleues ou pourpres.

On parlera de bactéries à Gram positif. En revanche, les bactéries à paroi mince deviennent roses ou rouges lorsqu’elles sont colorées, désignées alors comme bactéries à Gram négatif.