Dossier
Texte: Céline Bilardo et Melinda Marchese

Adolescents: Pour une médecine sur-mesure

Envahis par des changements physiques, psychologiques et sociaux, les adolescents ont des besoins propres et nécessitent une prise en charge spécifique. Le milieu hospitalier se mobilise.

La plupart du temps, elle démarre par une poussée de petits boutons et de poils, une odeur corporelle nouvelle, puis enclenche des changements physiques marquants et quelques fluctuations d’humeur... Loin d’être un phénomène anodin, la puberté reflète une étape critique de l’adolescence. «C’est là que tout démarre, souligne Anne-Emmanuelle Ambresin, médecin-cheffe de la Division interdisciplinaire pour la santé des adolescents (DISA) au CHUV. C’est une gâchette hormonale qui se couple à des changements tant au niveau cognitif, biologique, que comportemental.» Une transformation qui amène aussi les jeunes adolescents – qui ne sont plus des enfants, mais pas encore des adultes – sur la voie de l’autonomisation, de leur recherche d’identité sexuelle mais aussi personnelle et professionnelle.

Tous ne traversent pas cette période de grands remaniements de la même manière. Pour la majorité d’entre eux, elle est propice à l’apprentissage, à la créativité et à l’affirmation de soi. Mais pour 10 à 20% de ces jeunes, selon les estimations des spécialistes, l’adolescence peut être synonyme de grande vulnérabilité et de prise de risques.

Décrochage scolaire, excès d’alcool, attitudes violentes et tentatives de suicide sont quelques exemples de dérapages possibles. «Les adolescents qui vont mal demandent une attention et une approche médicale particulières», remarque Susan Sawyer, directrice de la Chair of Adolescent Health de l’Université de Melbourne (Australie). Cette éminente spécialiste de la prise en charge des adolescents estime qu’ils «représentent une population longtemps négligée dans les études de santé.» Anne-Emmanuelle Ambresin abonde dans ce sens: «Il y a 30 ans, les scientifiques commençaient à discuter de la spécificité des adolescents, ce n’est que depuis quelques années seulement que leur prise en charge est devenue une priorité.»

C’est au Canada, en Australie, en Amérique du Nord puis en Europe que des centres médicaux et des hôpitaux dédiés aux adolescents ont d’abord vu le jour. La médecin-cheffe de la DISA cite une étude menée par l’épidémiologiste australien George Patton en 2011, qui a fait parler d’elle à l’échelle internationale et qui a permis de mettre en lumière la nécessité de s’intéresser davantage aux jeunes et à leur santé. «Cette recherche a montré que la mortalité des enfants avait chuté ces trente dernières an- nées, mais que la courbe de mortalité des jeunes de 14 à 19 ans, elle, n’avait pas bougé. C’est ainsi que l’on a constaté qu’il y avait un effort supplémentaire à faire pour répondre aux besoins des adolescents.»

Un cerveau qui grandit

Une des principales découvertes qui a amené les spécialistes à mieux comprendre les adolescents et leur développement porte sur leur cerveau. L’avancée de l’imagerie médicale de ces dix dernières années a permis de démontrer que si cette population agit parfois avec impulsivité et émotion, la raison réside dans le fait que leur cerveau n’est pas encore mature.

Directeur de différentes unités de soins pour adolescents au CHUV, le pédopsychiatre Laurent Holzer explique que la maturation cérébrale n’est effectivement pas encore terminée à ce stade de vie, et que la partie qui mature en dernier (ce, jusqu’à l’âge de 30 ans!), le cortex préfrontal, est celle qui permet au jeune adulte de planifier ses actions, gérer ses ressentis et contrôler ses réactions. «La part biologique de la puberté et tous les nouveaux mécanismes qui s’activent à ce moment-là vont pousser le jeune adolescent à prendre des risques, à tester simplement où il en est et jusqu’où il peut aller. C’est aussi son environnement social qui l’aidera à maîtriser ces nouveaux défis. Alors que pour l’enfant, la socialisation s’effectue sur des bases explicites, pour l’adolescent, tout passe par l’implicite: il doit saisir le second degré, comprendre pourquoi il rougit, quels sont les signes d’interactions en lien avec la sexualité... L’adolescent doit être stimulé et soutenu par ses pairs durant cette période critique pour la socialisation.»

Une meilleure compréhension de l’adolescent

L’adolescence signe le début des grandes pathologies adultes. «80% des maladies psychiatriques adultes émergent à l’adolescence, note Olivier Halfon, pédopsychiatre et directeur du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Supea). La schizophrénie et les conduites addictives se révèlent souvent durant cette tranche d’âge, mais aussi les troubles bipolaires ou les troubles du comportement alimentaire, avec des conséquences se poursuivant à l’âge adulte. Un enfant peut aller très bien et montrer petit à petit des symptômes d’une telle maladie au moment de la puberté.»

Le spécialiste remarque que les recherches en neuro- biologie ont bousculé sa vision du développement du cerveau de l’adolescent: «Elles nous ont permis de mieux comprendre les troubles psychiatriques survenant à cette période de la vie.» Les recherches ont montré que les jeunes répondent à un processus hormonal en marche. La puberté affecte leur corps, leur cerveau et de cela découlent des comportements exploratoires qui peuvent les mettre en danger et provoquer des pathologies.

DES BESOINS DIFFÉRENTS

On les dit parfois violents, en conflit avec l’autorité et la société, «mais les adolescents ne sont pas contre tout et ne sont pas tout le temps en colère», affirme Françoise Narring. La responsable de l’Unité santé jeune aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) souligne la complexité de traiter avec des adolescents et de communiquer avec eux pour bien les comprendre. «Loin de se dévoiler facilement, les jeunes viennent souvent consulter pour un problème physique, comme un mal de tête ou de ventre qui cache en fait un souci plus profond. Il s’agit de savoir leur parler, de poser les bonnes questions et ainsi dépister un adolescent qui se porte plus mal qu’il ne le dit a n d’organiser un suivi.»

Les parents, l’école et les médecins de premiers recours (pédiatres et médecins de famille) sont les premiers acteurs de ce dépistage précoce. Les spécialistes des adolescents s’efforcent ainsi de les informer et de les former à la prise en charge des jeunes.

Les adolescents et leurs droits

Au regard du droit médical, ce sont les droits de l’enfant qui régissent ceux de l’adolescent (mineur). Depuis le début du XXe siècle, les instances juridiques n’ont cessé de réfléchir à l’assouplissement et à l’ouverture de plusieurs règles à leur égard.

Des consultations spécifiques

Le développement d’unités spécialisées dans les hôpitaux telles que la DISA à Lausanne, l’Unité santé jeune à Genève ou encore la Chair of Adolescent Health à l’Université de Melbourne démontre la prise de conscience et la mobilisation en cours pour offrir aux adolescents des structures et des soins qui leur sont dédiés.

Ces espaces leur sont essentiels: «Un adolescent ne se sentira pas à l’aise dans une salle d’attente chez son pédiatre, mais il n’est parfois pas encore prêt non plus à être soigné par un médecin pour adultes, explique Franziska Phan-Hug, endocrinologue, pédiatre et médecin responsable au Centre d’endocrinologie et métabolisme du jeune adulte (CEMjA) du CHUV.

Initiative lancée en 2013, le CEMjA se développe en tant qu’espace de transition, où se rencontrent médecins pour enfants et pour adultes, spécialisés dans les maladies chroniques et maladies rares, plus spécifiquement les pathologies endocriniennes (troubles de la croissance, syndrome de Turner, variation de la différenciation sexuelle) et les troubles liés au diabète. «On peut penser qu’un enfant qui suit un traitement depuis l’enfance se montrera plus discipliné qu’un autre lors de son passage à travers l’adolescence, et pourtant c’est le contraire. Un jeune qui sou re d’une maladie chronique se rebellera et testera davantage ses limites que les autres.»

Acceptation de la maladie, de sa différence, nouvelle prise de conscience des enjeux de sa pathologie (ne pas pouvoir avoir d’enfant pour un trouble lié à la fertilité par exemple): la souffrance d’un adolescent atteint d’une maladie chronique s’accentue. D’autant plus que cette dernière peut évoluer et montrer de nouveaux symptômes ou complications.

«Les cas d’arrêts de traitement sont fréquents quand ces personnes ne sont pas bien préparées à gérer leur traitement de manière autonome et à se séparer de leur endocrinologue pédiatre», poursuit Franziska Phan-Hug. Mettre sur pied des coconsultations, où l’adolescent est écouté et par son spécialiste pédiatre et par un médecin spécialiste pour adultes est ainsi jugé comme une nécessité dans le milieu médical, avec un suivi personnalisé, amenant l’adolescent à se prendre en charge de manière volontaire.

POURSUIVRE LES EFFORTS

Le CEMjA a réalisé 400 consultations l’année de son ouverture au CHUV. Il en dénombre plus de 1’500 aujourd’hui. Un chi re qui confirme que ces centres spécialisés répondent à une vraie demande. Mais reflètent-ils un état de santé des adolescents qui s’aggrave? «Les jeunes ne sont en aucun cas «pires» qu’hier, estime le pédopsychiatre Laurent Holzer. Les professionnels et le public sont aujourd’hui simplement plus sensibles à leurs problèmes, qui étaient auparavant considérés comme sans conséquence sur leur devenir.

Notre devoir est désormais de continuer à repérer ceux qui présentent des signes précoces de pathologies psychiatriques et de renforcer leur prise en charge.»

Un travail démarré il y a dix ans par des équipes «mobiles» au CHUV, telles que l’Equipe mobile adolescents (EMA) qui intervient auprès des jeunes (13-18 ans) du canton de Vaud qui refusent les soins ou échappent à un suivi ambulatoire et propose un soutien dans leur lieu de vie (à domicile, ou en foyer par exemple).

De nouveaux chiffres brisent aussi un cliché: leur consommation en substances psychoactives comme le cannabis est en nette diminution depuis dix ans.

Chercheuse à l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive à Lausanne (IUMSP), Sonia Lucia a récemment mené, en équipe, une enquête populationnelle sur la victimisation et la délinquance chez les jeunes dans le canton de Vaud (2014). Les résultats, publiés cette année, parlent d’eux-mêmes: le taux de jeunes consommant de l’alcool entre 14 et 16 ans, sur une fréquence hebdomadaire, est passé de 18 à 7% en dix ans, ceux consommant du tabac de 18 à 14% et du cannabis de 9 à 5%.

«Il reste beaucoup à faire pour améliorer encore cette médecine spécifique aux adolescents, souligne Susan Sawyer, directrice de la Chair of Adolescent Health à l’Université de Melbourne: poursuivre nos recherches sur les adolescents, les efforts engagés dans le développement de structures appropriées, établir des modèles de prise en charge mais aussi promouvoir l’expertise chez les soignants de l’approche aux adolescents.» /



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​L’adolescence, c’est quoi?

Les Nations unies définissent un adolescent comme «toute personne âgée de 10 à 19 ans». Les avis divergent pourtant: se définit-elle uniquement en termes d’âge? L’adolescence est aujourd’hui communément dé nie par les spécialistes comme une période de la vie située entre l’enfance et l’âge adulte, qui démarre au moment de la puberté, soit autour de 12 ans. Quant à sa fin, elle varie et correspondrait au moment où le jeune est autonome et indépendant professionnellement. Elle est estimée entre 24 et 25 ans.

​Jeunes adultes

DE 20 À 24 ANS

A 20 ans environ, les jeunes femmes ont normalement terminé leur croissance, alors que les garçons gagnent encore en poids et en masse musculaire. D’un point de vue cognitif, la capacité d’exprimer des idées clairement s’acquiert pendant ces années. Le jeune adulte est capable de prendre du recul sur les expériences, et présente un besoin de reconnaissance moins important qu’auparavant. L’identité sexuelle est affirmée; la confiance en soi, l’indépendance et un sens de l’altruisme se construisent. Généralement, on remarque aussi la mise en place d’une certaine stabilité émotionnelle.

​Adolescence

DE 15 À 19 ANS

La croissance se stabilise chez les filles, mais continue pour les garçons. La capacité de réflexion s’accroît, l’adolescent parvient à se fixer des objectifs; les doutes naissent sur le sens de l’existence. Progressivement, un nouveau rapport avec le corps et l’apparence physique se construit. Pendant ces années, l’adolescent va parfois ressentir une grande estime de soi. Ce sentiment peut totalement s’inverser à d’autres moments. La distanciation vis-à-vis des parents s’installe.

Les spécialistes observent également que l’intérêt pour le sexe commence à se manifester lors de cette tranche de vie. L’adolescent demande plus d’intimité.

​Pré-adolescence

DE 10 À 14 ANS

Les premiers signes de la puberté se manifestent: les poils poussent, la peau devient plus grasse, la transpiration plus forte. La taille de la poitrine augmente chez les filles, et les règles commencent. Chez les garçons, c’est la taille des testicules qui augmente et leur voix mue. La capacité de réflexion grandit avec une attention portée davantage sur le présent que sur l’avenir. La réflexion morale s’approfondit. Par ailleurs, les premiers conflits d’identité commencent, tout comme les doutes sur son corps. Le désir d’indépendance et le besoin d’identité, mais aussi les sautes d’humeurs émergent.

​Puberté: de plus en plus tôt

«Les scientifiques ont observé une baisse drastique de l’âge moyen de la puberté, passant de 17 à 12 ans,en moins de deux siècles», indique Susan Sawyer, directrice de la Chair of Adolescent Health de l’Université de Melbourne. Le phénomène, aujourd’hui stable, a été particulièrement observé chez les filles, par l’apparition des règles, bien que le premier signe de puberté chez elles soit le développement des seins et l’augmentation de la taille testiculaire chez les garçons.

Les raisons de cette évolution? «Elles sont, d’une part, liées à des facteurs positifs et montreraient que l’on a une meilleure hygiène et une meilleure nutrition qu’auparavant, explique Susan Sawyer. Et, d’autre part, à une cause négative, qui serait liée à l’influence de l’environnement notamment par la présence en augmentation de perturbateurs endocriniens, que ce soit dans les produits cosmétiques, de nettoyage ou les emballages alimentaires.» Ces derniers peuvent directement interférer sur notre système hormonal.