Tendances
Texte: Chloé Burgat
Photo: Illustration de Verónica Grech

Peau contre peau, parents et bébés se soignent

Alors que le nombre d’enfants prématurés augmente, la méthode dite «kangourou», consistant à poser le bébé nu contre la poitrine des parents, est aujourd’hui considérée comme un incontournable en néonatologie. Une nouvelle écharpe pour soutenir les nouveau-nés est d’ailleurs en train d’être testée au CHUV.

«Il y a une dizaine d’années, les nouveau-nés hospitalisés en néonatalogie se trouvaient derrière des vitres dans un pavillon. L’accès aux parents était restreint et il était hors de question que la fratrie ait des contacts avec le nouveau-né», se remémore Alice Manser Chenaux, 40 ans, infirmière sage-femme au CHUV, certifiée en soins intensifs. «Aujourd’hui, l’une des premières choses que l’on fait, c’est d’installer le nouveau-né nu contre la poitrine de l’un de ses parents, parfois dans la première heure de vie», explique Chloé Ducret, 30 ans, infirmière clinicienne spécialisée en néonatologie au CHUV. Le contraste est plutôt saisissant. Mais qu’a-t-il donc bien pu se passer dans l’intervalle?

La chaleur de la peau en guise de couveuse

Il faut parcourir quelques milliers de kilomètres et changer de continent pour le comprendre. C’est en Colombie, en 1978, que la méthode kangourou a fait ses premières preuves. Confrontés à un manque d'incubateurs, médecins et sages-femmes ont tenté le tout pour le tout pour essayer de réchauffer les nourrissons, en les mettant directement en contact avec la peau de leur mère, à l’instar des petits kangourous qui sont bien au chaud dans la poche de la femelle. Non seulement, les bébés colombiens ont régulé leur température corporelle, mais le personnel médical a pu observer de nombreux autres bénéfices inattendus. «Ils ont constaté que les bébés en peau à peau bénéficiaient d’une amélioration ou d’une plus grande stabilité de leur paramètres vitaux (fréquence cardiaque, température, saturation, respiration), que leur réponse à la douleur diminuait, qu’ils bénéficiaient d’un meilleur sommeil, et qu’à long terme, leur développement sur le plan neurologique et psycho-social était meilleur», explique Alice Manser Chenaux.

Des transferts délicats

Petit à petit, sous différentes formes, cette technique s’est propagée dans les services de néonatologie du monde entier.

Dans certaines maternités danoises ou françaises, le peau à peau est pratiqué en continu, 24 heures sur 24, alors qu’en Suisse c’est un système intermittent qui est privilégié.

«Nous ne sommes pas organisés pour faire du continu, mais les parents peuvent venir autant qu’il veulent pour des séances de peau à peau», note Alice Manser Chenaux. «Par contre, une fois qu’ils s’installent c’est pour une heure minimum», explique Chloé Ducret. Chaque transfert engendre en effet un stress et un risque de déstabilisation pour l’enfant. «Parfois nous devons nous mettre à trois pour déplacer un prématuré. Les nouveaux-nés dans notre service sont parfois équipés d’un lourd dispositif médical». Car aujourd’hui, il n’y a quasiment plus aucune contre-indications à mettre un bébé en peau à peau. Que celui-ci soit sondé, intubé ou encore sous antibiotiques il peut profiter de la méthode kangourou. «Ceci était encore impensable il y a une dizaine d’année», se réjouit Chloé Ducret. La pratique a montré de tels effets bénéfiques que les médecins préconisent de la favoriser le plus possible. «Évidemment, si les parents sont malades ou si le bébé est trop instable pour être transféré, on ne prend aucun risque», tempère l’infirmière.

L’illustratrice espagnole Verónica Grech a réalisé le dessin symbolisant les bienfaits du contact peau à peau pour les bébés prématurés.

Des parents qui trouvent mieux leur place

Si les bienfaits de la méthode kangourou ne sont plus à prouver pour les nourrissons, les professionnels de la santé ont également remarqué qu’elle était bénéfique pour les parents. D’une part d’un point de vue psycho-social, en renforçant le lien d’attachement et le sentiment d’utilité: «Dans ces moments-là, c’est à peu près la seule chose qu’ils peuvent faire pour leur enfant et personne d’autre ne peut le faire à leur place», commente Alice Manser Chenaux. «On commence à sentir qu’on est parent», confirme Caroline You, la maman du petit Valentin (lire témoignage ci-contre). Il arrive aussi fréquemment que des parents épuisés s’endorment. Ils profitent alors d’une parenthèse où l’anxiété n’a plus sa place. D’autre part, le peau à peau a un effet physiologique non négligeable pour les mamans: le contact du bébé contre leur poitrine déclenche une libération d’ocytocine, l’une des hormones impliquée dans la lactation. «Beaucoup de mères ont une montée de lait durant une séance de kangourou», raconte Chloé Ducret. Un phénomène qui incite le bébé à chercher le sein de sa mère et donc à téter, ce qui «favorisera le développement de l’oralité ainsi que sa prise de poids». Des bénéfices des deux côtés qui favorisent donc une progression et un rétablissement plus rapide des prématurés.

Mais les parents ne sont-ils parfois pas effrayés de sentir que cette vie qui ne tient qu’à un fil est entre leurs bras? «Ça arrive de temps en temps, surtout chez les papas. Ce n’est pas vraiment de la peur, mais ils veulent laisser ce moment à la mère ou alors ils se sentent moins compétents», analyse Alice Manser Chenaux. «Mais une fois qu’ils ont passé le cap, tous sont vraiment ravis!». Caroline You, qui a aujourd’hui apprivoisé la technique, confie qu’au début il lui est arrivé de se sentir coupable alors que son fils faisait des apnées respiratoires en étant sur elle: «Mais les infirmières m’ont bien expliqué que la même situation aurait pu se passer en couveuse», dit-elle.

Afin de perfectionner encore la pratique du peau à peau, le service de néonatologie du CHUV mène une réflexion pour optimiser la qualité de ces moments.

Un ou plusieurs systèmes d'installation en peau à peau seront testés pour trouver la meilleure solution pour tous. Elle devrait permettre un meilleur maintien, plus de confort et favoriser la relation des parents avec les quelques 750 nouveau-nés qui sont hospitalisés chaque année au service de néonatologie.



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«C’était peut-être la dernière fois que je le prenais dans mes bras»

Caroline You a donné naissance à Valentin le 21 octobre dernier au CHUV. Né à tout juste 24 semaines et 6 jours, le nourrisson fait partie des grands prématurés pour lesquels la «méthode kangourou» est très bénéfique.

«En quelque sorte, nous nous sommes partagé la fin de la grossesse», explique Caroline You, 25 ans, lorsqu’elle évoque les journées où son conjoint prenait Valentin en peau à peau le matin et elle l’après-midi. Un rituel qui s’est installé très rapidement après l’arrivée de leur enfant, qui pesait à peine plus de 700g à la naissance. Seulement deux jours après l’accouchement, Caroline You et son conjoint Alexandre Subra, 28 ans, ont pu tester la méthode kangourou.

«C’était très spécial car on ne savait pas s’il allait vivre, on sentait qu’il se battait et cette méthode nous a permis de lui apporter de la force. Au début, à chaque fois que je le prenais, j’avais conscience que c’était peut-être la dernière fois que je tenais Valentin dans mes bras». Caroline et son conjoint ont donc profité de chaque moment passé avec leur enfant: «Mon record, c’est 4h de peau à peau». Aujourd'hui, Valentin est stabilisé et il est sorti des soins intensifs.