Innovation
Texte: Bertrand Tappy
Photo: SAM-CHUV

Une bonne nouvelle pour les allergiques aux pollens

Une nouvelle méthode de désensibilisation rapide initiée au CHUV est en cours de test dans plusieurs centres en Europe. Les premiers résultats sont encourageants et permettent d’entrevoir la possibilité de nouvelles stratégies contre les allergies.

"On ne peut pas encore crier victoire, mais c’est sur la bonne voie": de l’autre côté de la ligne, la voix du Pr. François Spertini du Service d’immunologie et allergie du CHUV est enthousiaste. Il faut dire que les bonnes nouvelles qui s’accumulent viennent enfin donner raison à plus de 10 ans de recherche sur les allergies et leurs mécanismes complexes afin de réduire drastiquement la durée des traitements de désensibilisation.

Comment cela marche ? "Tout a commencé lorsque j’ai achevé une recherche sur la manière dont le système immunitaire réagissait face aux peptides, des fragments d’allergènes qui sont eux-mêmes de plus ou moins longues protéines, raconte le Pr. Spertini. Que ce soit le pollen de bouleau, le venin d’abeille sur lequel nous avions commencé notre travail ou n’importe quelle autre source, les allergènes fonctionnent en effet tous de la même manière : en induisant la production d’immunoglobulines E (IgE) de manière excessive, notre corps se met à lutter contre ce qu’il considère à tort comme un envahisseur, ce qui génère les désagréments et parfois les complications graves que peuvent connaître les personnes allergiques."

En début de projet, François Spertini et son équipe s’étaient rendu compte qu’en découpant l’allergène en suffisamment de petits fragments (nos fameux peptides), il était possible de tromper les IgE qui ne reconnaissaient plus l’allergène. Malgré tout, les cellules du système immunitaire pouvaient toujours être stimulées par ces fragments d’allergène et, à force d’être en contact, finissaient par être désensibilisées (ce qu’on appelle en langage médical une induction de tolérance ). La question se posait donc d’évaluer si cette tolérance immunologique pouvait se traduire en clinique par une suppression des réactions de l’allergie.

Pour aller plus loin, il fallait faire ce que l’on appelle de la recherche translationnelle (qui fait le lien entre la recherche fondamentale et une application médicale). Une étape coûteuse en temps et en argent, qui nécessite de prendre son bâton de pèlerin pour lever des fonds et constituer les équipes adéquates de chercheurs et de cliniciens. Sans compter qu’il existe un risque d’être fortement déçu : ce n’est pas parce que vous avez démontré une fois un phénomène in vitro ou chez la souris que vous allez découvrir un traitement miracle… "J’ai eu la chance d’être encouragé et soutenu par mes collègues ainsi que par le PACTT, le CHUV, l’EPFL et la Commission pour la technologie et l’innovation fédérale (CTI) à Berne. Aujourd’hui, je réalise à quel point c’était important, car trop d’études restent au niveau de l’hypothèse, et dorment dans des tiroirs à cause de la peur de l’échec ou du manque de motivation", constate le Pr. Spertini.

Pour aller plus loin, il fallait faire ce que l’on appelle de la recherche translationnelle (qui fait le lien entre la recherche fondamentale et une application médicale). Une étape coûteuse en temps et en argent, qui nécessite de prendre son bâton de pèlerin pour lever des fonds et constituer les équipes adéquates de chercheurs et de cliniciens.

Pour leur première tentative de démonstration de bonne sécurité et d’efficacité, les chercheurs se sont focalisés sur l’allergie au pollen de bouleau. Quelques années plus tard, un produit est enfin prêt, basé sur les peptides décrits plus haut. « Avant de passer aux véritables tests d’efficacité sur des personnes réellement allergiques, il a fallu passer par une série de tests sur des souris, puis sur des volontaires pour prouver que le produit n’était pas nocif et qu’il avait bel et bien un effet immunologique. L’étude d’efficacité (appelée phase 2b par les spécialistes) a ensuite pu être menée sur 240 patients répartis dans différents centres en Europe. "Nous ne pouvions retenir que des volontaires qui étaient uniquement allergiques au bouleau, et il n’y en a pas beaucoup en Suisse. Par contre, en Pologne, il nous a été bien plus aisé d’en trouver", sourit le médecin.

Dans ce type d’étude, les volontaires ne savent pas si le traitement qu’ils reçoivent durant l’automne est le traitement actif ou un placebo. Puis, d’avril à juin, chaque volontaire note les symptômes d’allergie et leur intensité via une application sur smartphone. Et les résultats sont étonnants : "ils prouvent qu’avec cette méthode, nous pouvons imaginer considérablement diminuer l’allergie en 5 injections sur 2 mois, au lieu d’injections hebdomadaires puis mensuelles durant 3 ans!". L’étude est publiée online dans le Journal of Allergy and Clinical Immunology ce mois.

Mais l’aventure n’est pas encore terminée: "L’étape suivante, ce sont les études de type 3, sur des populations encore plus larges, explique le Pr. Spertini. Ce genre d’étude coûte environ 50 millions de francs! C’est pourquoi nous avons dû créer une société capable de monter le projet et trouver les financements hors milieux académiques". La chose prendra encore 2-3 ans, mais à écouter François Spertini, cela fait bien longtemps que le médecin a été vacciné contre l’impatience.



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