Chronique
Texte: Bertrand Tappy
Photo: DR

Une molécule, une histoire: la Ritaline

La Ritaline a passé le cap de la soixantaine, mais cette molécule est indissociablement liée aux enfants et aux ados.

Tout commence en 1944, lorsque le chimiste Leandro Panizzon synthétise le méthylphénidate en 1944 dans les laboratoires de Ciba à Bâle. Comme la grande majorité des chimistes de l’époque, il décide de tester au plus vite sa trouvaille sur la première personne qui lui tombe sous la main: sa femme, Marguerite (surnommée «Rita»).

Et les effets ne tardent pas à se faire remarquer.

C’est sur le court de tennis que Rita constate les plus grands changements, son jeu s’améliorant après en avoir absorbé. De fait, la molécule agit rapidement sur le système nerveux et favorise la concentration. Un brevet est donc déposé et le médicament est commercialisé pour lutter contre la fatigue et la confusion. On est alors au beau milieu de l’époque des trente Glorieuses: «Les découvertes médicales explosent après la Seconde Guerre mondiale, faisant espérer que la science trouvera un remède contre tous les maux, somatiques ou psychiques, analyse Thierry Buclin, chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. Mais dans ce second cas, la grande majorité des médicaments ne guérissent pas: ils modifient tout au plus le trouble ou le soulagent.»

Quelques années après sa mise en vente, on découvre que la Ritaline permet d’améliorer le comportement quotidien des enfants souffrant de troubles du déficit d’attention, avec ou sans hyperactivité (TDAH). Au début, les prescriptions sont réservées aux cas les plus lourds, avec des résultats parfois spectaculaires. Mais au fil des années, le nombre d’enfants sous traitements augmente de manière tout aussi impressionnante. «Un certain revirement débute à la fin des années 1990 avec l’apparition d’une fronde anti-Ritaline, à qui l’on reproche beaucoup de choses, continue Thierry Buclin: ralentissement de la croissance, symptômes cardiaques, dépendance, passage aux drogues dures, idées suicidaires, etc.»

Alors que se poursuit la controverse et que se multiplient les études sur le TDAH, ce qu’on observe surtout, c’est à quel point l’usage de la Ritaline révèle les discordances régnant entre les régions, les groupes sociaux, les institutions, les médecins et les familles à propos d’une préoccupation aussi essentielle que la standardisation des comportements et la légitimité à les influencer de manière chimique. Qu’on les pense dissipés, indomptables, révoltés, à haut potentiels ou hyperactifs, nos jeunes continuent ainsi à questionner ce que nous attendons de la génération suivante. Reste à savoir si les réponses peuvent être apportées par une simple pilule. ⁄



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